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      "Le chirurgien, qui avait de nombreux patients mais très peu de remèdes efficaces, visitait chaque jour la digne dame Van der Moer, tous les sens en émoi devant le spectacle d’une Aimelise en négligé de coton. Celle-ci, ignorant la réprobation des autres servantes, veillait sa maîtresse agonisante vêtue d’une simple camisole qui dévoilait des épaules et une gorge d‘une blancheur émouvante. Elle ne portait plus sa coiffe et relevait sa chevelure rousse sur sa nuque. Dans un moment de lucidité, la noble dame fronça les sourcils et souffla :

    - Ma petite, vous ressemblez à une courtisane !

    Ce furent ces dernières paroles sensées. Elle retomba dans une léthargie entrecoupée de délires. N’espérant plus guère voir sa maîtresse se rétablir, Aimelise avait l’angoisse de son devenir et mettrait tout en oeuvre pour se recaser avant d’arriver à Batavia, dut elle, sous prétexte de chaleur intense, se dévêtir plus encore. Dans ses rêves, elle séduisait un de ces veufs vieillissants et fortunés qui avaient fait fortune dans les épices ou les pierres précieuses. Elle se faisait doter, puis l’homme, amolli par les soupers, épuisé par le lucre, bourré de poudres aphrodisiaques dont Java était grande pourvoyeuse, ne tardait pas à passer de vie à trépas, la laissant libre et riche. Le chirurgien du Tonijn n’était pas aussi vieux et décati que l’homme de ses rêves, mais il n’était point jeune et on disait qu‘il songeait à se retirer à Batavia. Il avait l’avantage d’être disponible en cet instant où son destin allait se jouer."

 

 

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     « Les deux anciens entraînèrent Nyiki dans une anfractuosité dont les parois étaient ornées de peintures. Il en fut ébloui, ces motifs très élaborés parlaient à son âme, pourtant ils ne ressemblaient en rien à ceux que les gens du désert lui avaient appris à tracer. Des formes humaines massives, aux épaules larges, le fixaient de leurs gros yeux ronds et leur tête rayonnait. Ils n’avaient pas de bouche. À leurs côtés s’éparpillaient de petites silhouettes humaines et animales, noires et longilignes.

      - Les esprits ancestraux vivent dans la pierre dit Oruncha, le quartz est leur enfant… Ceci est un lieu secret, ici nos ancêtres chamanes ont collecté les quartz depuis des générations.

     Il s’accroupit, une jambe repliée sous lui et, fermant les yeux, passa sa main brune et noueuse sur les cailloux qui l’entouraient. Le geste était sensible et presque voluptueux, comme si les morceaux de roche étaient des êtres vivants. Il soupesait chacun et parfois il avait pour lui un mot affectueux : « Toi tu es grosse, mais pas encore prête… » ou bien : « Toi, tu seras excellent en ton temps ». Finalement il en saisit un, le prit à deux mains tendrement, et ouvrit les yeux. C’était une pierre toute semblable aux autres. Les pupilles du vieil homme brillèrent de contentement et se fixèrent sur le garçon, il eut un sourire entendu :

     - Le cristal vit à l’intérieur de celui-ci comme le Rêve dans ton esprit. Son essence a été préparée dans le temps sacré, à présent il est prêt à naître.

    D’un geste vif il la frappa avec une autre pierre, elle se fendit en deux et les cristaux étincelants apparurent. Le jeune homme émerveillé regarda le vieux chamane accoucher la matrice minérale de la pierre magique. À petits coups précis, il débarrassa complètement le cristal de sa gangue. Il resta un petit morceau de quartz très pur qu'il mit dans le soleil. La pierre étincelante diffracta la lumière. Il la tendit à Nyiki.

   - Ce cristal est pour toi, lui dit-il, pour fortifier ton lien avec le monde sacré.

    Le visage du jeune homme rayonna, il prit l'objet respectueusement, le serra longtemps dans sa main, sentit sa pulsation, puis il le mit dans une petite sacoche qu'il portait autour du cou. Il lui sembla avoir enfin trouvé sa place. Oruncha considéra son étrange physique, ses yeux très ouverts couleur du ciel, ce nez étroit que l’os passé dans le septum élargissait à la base. « Sa différence l’affermira » pensa-t-il.

    - Tu dois connaître une autre chose que nous, les nyangkaris, ne révélons à personne… Suis-moi.

     Les trois hommes reprirent leur marche au sein de l’immense cirque de pierre. Nyiki était impressionné par la majesté du site, autant que par les secrets qu’on lui révélait, il se sentait petit et indigne. Il y avait de nombreuses failles dans la falaise et il comprenait que c’était là la demeure des esprits, ceux qui dormaient dans la roche et dont l’image peinte était dévotement entretenue par des générations d'initiés. Oruncha s’arrêta devant l’une de ces fissures, elle était à flanc de falaise. Il demanda que l’on ramasse quelques feuillages secs et y mit le feu. Pendant que l’amas de branches brûlait, Oruncha chanta. Il demanda la clémence des esprits pour ceux qui allaient pénétrer dans leur demeure. Puis les trois hommes se mirent à escalader la falaise. Oruncha peina et ses deux compagnons durent l’aider. Ils se faufilèrent dans l’étroit passage et se retrouvèrent dans une obscurité presque totale. Au début, leurs yeux éblouis ne discernaient rien, puis Nyiki vit qu’ils étaient dans une petite grotte aux parois peintes de ces mêmes figures sans bouche et aux orbites vides qu‘il avait déjà vues sur les rochers. Il avait peur mais s’appliquait à n’en rien montrer. Oruncha le prit par la main et l’entraîna tout au fond de l’excavation. Entre les pierres, quelque chose captait le peu de clarté. Il se pencha et vit qu’il y avait là, en grand nombre, de ces petites pierres dorées rondes, plates et brillantes qu’il voyait pendre au cou des faiseurs de pluie. »

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Un grand merci à tous ceux qui ont partagé  cet article sur les RS !

Tag(s) : #Extraits, #Mes personnages
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